Entre petites lampées et grandes folies, ne pas remettre à demain ce qui peut être bu aujourd'hui...
25 Avril 2018
BOURGES. Le début de l'histoire remonte déjà à quelques semaines, suite à une conversation autour des vins naturels, un sujet bien dans l'air du temps parmi les cénacles pinardiers, voyez. Le débat tournait autour d'une question cruciale, majeure, à propos de ces nature, vilipendés par certains, portés aux nues par leurs aficionados : peuvent-ils voyager et, surtout, peuvent-ils bien vieillir ? Débat dont sont évidemment exclus les Gerra et autres Onfray, les obtus, les fous du glyphosate, les soufreteux à tout crin et même quelques fréquentations locales, fous/folles de vin, pourtant, bobos se targuant d'être de gôche et/ou écolo, mais qui « n'aiment pas les vins bios et encore moins les nature, beurk ! ». Du coup, on s'est dit qu'il fallait aller plus loin que cette conversation de comptoir, faire un atelier de dégustation, réunissant convaincus, curieux et sceptiques, histoire de voir si le nature pouvait être aussi de garde. Rendez-vous donc au Tocsin, chez Jacques Flouzat, membre éminent de l'Association des vins naturels (AVN) qui nous proposa une preuve par ... Courtois !
Courtois, Claude, dans ses Cailloux du Paradis et son fils Julien, installés à Soings-en-Sologne, tout près d'ici... Avant d'aller plus loin, je vous livre ici ce que la Revue du vin de France, pas toujours très encline à défendre les vins naturels, écrit à propos de Claude Courtois: « Il nous fait penser à Hagrid, ce personnage de la célèbre saga Harry Potter portée au cinéma, colosse garde-chasse barbu et chevelu. La gueule de l'emploi pour une pointure de la viticulture bio depuis vingt ans en Sologne. Un paysan vigneron marginal qui combat, depuis la première heure, le dopage des vignes par la chimie. Ses vins sont évidemment plus subtils que cette image. Six cuvées de rouge, autant de blancs, élevées de vingt-quatre à trente mois en fûts et volontairement déclassées en vin de table (de Sologne !) Tout honnête œnophile se doit de connaître ses vins .»
Honnêtes œnophiles nous sommes donc ...
Rendez-vous l'autre soir, un jour racines, pour ceux qui suivent le calendrier lunaire, autour d'un petit mangement : charcuterie et fromages BIO ! Cake salé aux câpres et au chorizo, pas BIO ! Fromages de chèvre et de vache BIO ! Succulentes sardines et rillettes de poissons BIO d'Océane alimentaire. Les bouteilles ont été dégustées à l'aveugle, histoire de tenter, oui tenter, de découvrir le/les cépages et le millésime ! On a enlevé la chaussette une fois le tour de table fait. Je vous résume tout cela ici.
1) Robe jaune foncé, reflets orangés, ménisque épais, nez sur la cire encaustique, le miel et la poire blanche confite, notes florales, iris ? Attaque vive peu fruitée, longueur iodée et très fraîche. Propos de table : oui, très cire d'abeille, une bouche sapide et saline, un vin de repas très iodé, un côté floral, une étonnante fraîcheur. C'est ? Cuvée Romorantin 2006, de Claude Courtois. Un cent pour cent romorantin, donc, qui est, rappelons-le, le cépage unique de l'appellation Cour-Cheverny. Conclusion : douze ans d'âge, pas une ride !
2) Robe pisse de malade, trouble, nez perturbant, violemment oxydatif, miel rance. La bouche est du même tonneau, sur le carton bouilli... Propos de table : gravement oxydé, artichaut, serpillière humide, fatigué, une certaine fraîcheur après aération ! C'est ? Cuvée Originel 2004 de Julien Courtois. Cépage ? Menu pineau. Conclusion : un vin très fatigué.
3) Robe jaune foncé, nez élégant sur de légères notes oxydatives, noix vertes, attaque vive, fruitée, bouche ample et riche, finale très longue. Propos de table : un fond un peu alcooleux, on dirait un vin du Jura, un côté chardonnay, iodé, nez un poil sur l'éthanol à l'ouverture, bouche ciselé, grande finesse. C'est ? Savasol 2005, titrant 14° et vinifié par Julien Courtois. Toujours du menu pineau. Conclusion : tout le contraire du précédent, treize ans et toujours fringant.
4) Robe ambre clair, nez sur la cire de miel, les fruits confits, le safran. Bouche un peu acide à l'attaque, tapissante, on dirait un sauternes. Propos de table : grande fraîcheur, de la tension, d'une extrême minéralité. C'est ? Évidence 2003 de Claude Courtois, titrant 13,5 degrés, proposé en bouteille de cinquante millitres. Encore du menu pineau. Conclusion : jolie bouteille très jurassienne...
Après les blancs, les rouges...
5) Robe un peu trouble, nez sur les tripes, le chien mouillé, la poudre. Peu de présence en bouche, un peu diluée... Pas franchement séduisant. Propos de table : il est fini, mais il fut grand, ça fait penser aux matins de chasse, encore soyeux en bouche, il reste une belle structure, la finale n'est pas si mal, encore beaucoup de fraîcheur. C'est ? Cuvée Racines 1997 de Claude Courtois. Les cépages : plusieurs variétés de gamay, du pinot noir. Conclusion : a pris un coup de bambou mais reste possible.
6) Robe foncé, grenat de Prague, nez très fruité, net, bouche toute en rondeur, fruits noirs, des épices, finale un peu poivrée. Propos de table : on dirait un grand bourgogne, plutôt un vin du Sud, le passage en bouche est superbe, dans dix ou quinze ans ce sera toujours aussi bon. C'est ? Cuvée racines 2005 en magnum de Claude Courtois. Du gamay, du pinot, du cot, du pineau d'Aunis, de la syrah... Voire d'autres cépages. Conclusion : unanimité, beau flacon.
7) Robe foncée, nez giboyeux, sur le caillou chauffé au soleil, un peu réduit, assez austère en bouche, jolie longueur très ciselée. Propos de table : ça me fait penser à la-tâche 2011 ! On est sur du cabernet, pas très opulent mais franchement délicieux, une merveille, une grande bouteille, monastique ... C'est ? Alcatraz 2005 de Claude Courtois. Cépage ? Cent pour cent syrah. Conclusion : tout le monde en veut !
8) Nez foncé, rubis, très vineux, fruité, sur le cassis mûr, ça pinote ... Propos de table : très sympa mais jeune, un gamay de deux ans peut-être, ça me fait penser à de la syrah. C'est ? Et ça n'a pas encore de nom puisque pas encore mis en bouteille et pas en vente mais c'est bien un pinot noir 2016... Conclusion : un petit jeune qui promet...
9) On termine sur un blanc. Robe jaune foncé, orangée, nez sur le miel, la cire, l'abricot confit, les fruits exotiques, la bouche vive, acidité revigorante, longueur mielleuse. Propos de table : bel équilibre, une jolie danseuse, du miel, un vrai dessert... C'est ? Fleur de Damoiselle 2006 de Claude Courtois. Et toujours du menu pineau. Conclusion : une bouteille très bien équilibrée.
Conclusion provisoire : mise à part le second blanc qui n'a pas fait l'unanimité, tous les autres ont conservé une réelle fraîcheur et une parfaite buvabilité. L'effet cépage, le menu pineau*, n'y est sûrement pas étranger. Pour les rouges, pas mal de notes animales** récurrentes dans les vins nature mais pas de vrais défauts. Quant au 2016, il est promis à un brillant avenir. Rendez-vous dans dix ou quinze ans ...
Pas sûr que les petites lampées en soient. Mais elles reviennent bientôt ...
* Le menu pineau, aussi appelé arbois ou orbois ou orboué, en patois, est un cépage indigène du Loir-et-Cher. Selon certains, il serait un petit cousin du chenin, cépage qui donne des vins aptes à un long vieillissement. Dans la nouvelle édition du Galet, le Dictionnaire encyclopédique des cépages, on trouve une autre explication : « L'arbois est probablement originaire du vignoble d'Arbois, et ne serait qu'un clone du savagnin. Ce cépage vigoureux était autrefois planté dans l'Orléanais et dans la vallée du Cher, représentant un quart de l'encépagement blanc, comme élément de souplesse. Son vin est en effet moins acide et plus tendre que celui du chenin, mais la qualité inférieure.» Ceci explique donc peut-être cela...
** Dans le dernier numéro de la Revue du vin de France, lire à propos des « arômes organiques », l'excellente réponse de Pierre Citerne à un lecteur, qui évoquent « les notes aromatiques nauséabondes » de certains vins nature faits par des « vignerons-apprentis-sorciers » et dotés « d'arômes de poulailler et d'écurie, pour n'employer que des termes sobres ». Quelques lignes de la réponse : « Je trouve que les arômes de synthèses présents dans les yaourts, les cosmétiques, les rues, parfois même les personnes souvent plus nauséabonds que les odeurs captées dans certaines poulaillers ou écuries.(...) Les gammes aromatiques que vous diabolisez ont été longtemps valorisés dans la haute gastronomie et les grands vins. Tous les connaisseurs savent que le vrai gibier (que plus grand monde n'apprécie) ou même le beurre méritent d'être servis faisandés ou légèrement ranci pour délivrer toutes leurs qualités. Oserai-je aller dans la provocation pour nourrir les débat ? Des auteurs fameux ont célébré "la merde de poule" censée caractériser les plus grands bordeaux et bourgognes. Goûtez à trente ou quarante ans d'âge un haut-brion (sublime bouse de vache séchée) un latour (poulailler et pansements...) ou un Grand Cru du Domaine de la Romanée-Conti (dessous d'aile de bécasse mortifiée). Conscient de ce patrimoine gustatif devenu fragile, un authentique connaisseur défendrait, je crois, l'organicité comme partie intégrante de l'expression des plus grands vins. Loin, très loin, de la société hygiéniste et clinique qui s'affirme autour de nous.»