2 Février 2011
Angers. Quel boulot ! Imaginez l'état de la bouche, de la langue et du palais, des dents, et la grande fatigue inhérente à cet exercice, de ceux qui pendant trois jours durant ont arpenté, verre en main, les trois salons qui se sont déroulés au Château de Brézé, près de Saumur et à Angers: Dive Bouteille, Renaissance des Appellations et Salon des vins de Loire. Comment rester intact, garder complètement ses esprits, quand on a levé le coude plusieurs centaines de fois par jour, oui, par jour ? Qu'on a mis en bouche et recracher, avec un peu de perte au passage, des « vins pas finis » , « des blancs encore sur lies », tirés sur cuve », « encore en élevage », qui vont devenir « de la bombe »; des rouges « qui n'ont pas fait leur malo », « toujours en fût », « pas filtrés mais prometteurs »; des rosés « tout juste embouteillés », « qui doivent encore s'arrondir »; des moelleux « encore troubles mais qui assurent. » Des « vins tendus », « précis, droits, sur le fruit »; des « amples, ronds, tanniques, acides, fermés, fins, boisés, mûrs, oxydés, épicés, soyeux, vifs, acidulés, amers, longs, courts...» Qu'on en a une pleine tête, imaginez, de tous ces mots, de tous ces arômes, de toutes ses flaveurs; qu'on en fait des rêves d'oasis et d'eau fraîche, mais si, d'eau pétillante. Qu'on est obligé de se laver quatre fois les dents, pour qu'elles retrouvent blancheur et éclat. Trois jours pleins que le supplice a duré pour les professionnels de la dégustation ! Cavistes, agents, restaurateurs, vignerons, sommeliers, œnologues, venus faire leur marché. Et pour d'autres, journalistes, blogeurs, attachés de presse. Alors, heureux que ça se termine? Euh, oui, oui... Mais vivement que ça recommence. À l'année prochaine !
Comme chaque année depuis que je succombe avec bonheur au rituel du Salon des vins de Loire, je m'étais promis de sortir un peu des frontières du Centre-Loire, mon pré carré. Pas eu le temps ! Mis à part une belle dégustation des vins de Frédéric Mabilleau, vigneron à Saint-Nicolas-de-Bourgeuil (son chenin 2008 est un pur bonheur et ses cabernets de vraies friandises) et une escale sucrée autour des sublimes cuvées Passion et Quintescence, vins naturels du Domaine de Juchepie, à Fayre-d'Anjou, je suis repassé par les cases départ et par les 2010 de nos sept vignobles et huit appellations. Grand millésime, belles promesses de bonheur. On aime décidément bien ce que vous faites...
Je citerai aujourd'hui, parmi les dizaines et dizaines de vins dégustés, une découverte: la Cuvée Accacia ( 9 euros ) du Domaine Michelle et Sylvain Leredde à Vinon. Acacia car ce sauvignon a été élevé huit mois dans des fûts de ce fabacée. Sancerre atypique, confidentiel, tiré à douze cents cols, présenté en bouteille blanche pour mettre en valeur sa belle robe jaune. Très floral, sur des notes torréfiées et miellées, ample et gras en bouche, on pourrait le servir, par exemple, sur une viande blanche en sauce crémeuse...
Car il est l'heure de passer à table. Un des plaisirs de tous les arpenteurs de salon, le soir venu, chacun sait que le vin appelle la gastronomie. Nous nous sommes retrouvés une petite vingtaine dans un tout nouveau lieu, à une quinzaine de kilomètres d'Angers: À La Pointe de Bouchemaine (*) anciennement La Terrasse. Face à la Loire et ses îlots blanchis par le givre et les quelques flocons tombés dans la matinée, comme pour trahir l'ineffable douceur angevine. Le propriétaire, Luc Bertrand, ancien représentant en hameçons, a entièrement revu l'aménagement du restaurant: décor moderne et sobre, sol doté d'une « moquette de pierres », rappelant les bancs de sable du dernier grand fleuve sauvage d'Europe, ici en majesté. Au menu, une superbe nage de foie gras, julienne de petits légumes et gingembre, suivie d'une quenelle de poisson, fondue de poireau relevée de piment d'Espelette et cheese-cake à base d'un fromage du village.
Pour accompagner cette belle ardoise du jour, des vins de Loire évidemment: un beau crémant blanc, idéal pour se refaire la bouche, la Cuvée Albatros du Clos de l'Élu, à Saint-Aubin-de-Luigné; un savennières, Cuvée Les Genêts de Damien Laureau à Angers, chenin naturel tout en finesse et en fraîcheur, suivi d'un autre chenin, Cuvée Les Noëls de Montbenault, de Richard Leroy à Rablay-sur-Layon. Enfin, avec le plat, épicé, un pineau d'aunis, coteaux-du-loir, Cuvée Rouge-Gorge du Domaine de Bellivière d'Éric et Christine Nicolas, sublime, poivré, frais, rafraîchissant ... comme une balade sur les rives de Loire en ce dernier soir de janvier.
(*) À La Pointe. 2, place Ruzebouc. 49080 Bouchemaine.