5 Décembre 2012
Reims. Il y a des années que je n'avais pas eu devant les yeux le fameux moulin de la Montagne de Reims. Il se dessine, là-bas, sous une voilette brumeuse... En cette fin d'après-midi frisquette, le ciel est d'aquarelles, rares trouées de bleu de colbalt, gros nuages gris de Payne et noir d'ivoire, traînées d'écarlate d'Alizarine, côté soleil couchant. Les ceps dénudés de chardonnay, déjà rognés par une machine, attendent la main de l'homme, la taille définitive, celle qui fait déjà la récolte prochaine. On nous a affublés de surchaussures blanches, genre salle d'op' vous voyez, pour éviter qu'on ne souille nos "daims" et ces dames leurs bottes. Des gants, gare aux coupures, des lunettes, gaffe aux éclats de bois, un sécateur... Opération taille, façon chablis ! Une dizaine de pieds rognés avec délicatesse et méthode, sous les bons les conseils de Frédéric Panaïotis, chef de cave. Nous sommes dans les vignes de Champagne Ruinart...
Une demi-heure de bus plus tard, nous débarquons à Reims, au siège social, pour une visite des magnifiques crayères, cathédrale de craie souterraine, huit kilomètres de galeries fraîches et humides. Par des marches, on s'engouffre, trois niveaux, jusqu'à quarante mètres de profondeur. Spectacle magnifique, l'impression d'être à l'intérieur d'une cheminée de fée. (visite virtuelle). Ici attendent dans un silence étourdissant des millions de flacons... Dont ceux que nous allons déguster à la nuit tombée. Suivent quelques notes de dégustation, entre guillemets ce qui a été entendu autour de la table ...
Cinq millésimes blancs en magnum. Que du chardonnay, c'est la patte Ruinart. Selon les millésimes, environ deux tiers de la Côte des Blancs, un tiers de la Montagne de Reims.
- 2002 : « Une des grandes réussites de ces vingt dernières années»; légère réduction au nez, bouche métallique, « amertume salivante », peau de pamplemousse, « c'est un crime de le boire, il est bien trop jeune ».
- 1998 : « Belle évolution », notes de grillé, tension, gras, « du puligny avec des bulles», « on pourrait imaginer un homard à la crème ».
- 1996: « Année froide, millésime extrême », « nez froid », beurré,vin rectiligne, du grillé, de la brioche, des notes de salpêtre, de brioche, d'agrumes, « défie le temps ».
- 1993 : « Année chaude », nez de safran, de la rondeur, « charnel », très lactique, « c'est un Paris-Brest ».
- 1988 : humus, morille, « on n'est pas dans le charnu », notes de céleri après aération, fraîcheur, amplitude, vin de gastronomie, « avec un poulet aux morilles et aux écrevisses ».
Place aux rosés. Blanc de blanc additionné de pinot noir (vinifié douze jours, plus ou moins 15%). Cinq millésimes là-encore.
- 1998 : rose pivoine, nez de fleurs séchées, « joli pot pourri », tendre, « le style de la maison, on n'est pas allé chercher le côté vineux », belle acidité finale, peu dosé.
- 1996 : nez complexe, aromatique, épicé et tourbé, avant des notes animales et de fleurs séchées, « fin de bouche sur une amertume constitutive», « champagne d'après-repas...».
- 1990 : « Ça envoie ! », évolution marquée, « début de notes tertiaires », charnu, riche, enrobant, animal, « évoluant sur le caramel », « avec un canard à la chinoise, caramélisé ».
- 1988 : notes iodées de marée basse, évoluant sur le champignon, « de la truffe blanche ? », ample et long.
- 1986 : « Année de pourriture », sur l'humus, le champignon, « puis le métal », avec un côté viande fumée, épicé et droit... Sur un onglet cuit à la japonaise, sauce soja !
Stop, c'est l'heure de l'apéritif !!!!!
Pour le dîner, Frédéric Panaïotis, propose un exercice toujours très difficile. Pour chaque plat, trois vins à découvrir : un champagne Ruinart et deux chardonnays, « français ou pas », mais tous du même millésime... (photo ci-dessus) Je vous livre la liste sans commentaire, pas envie de prendre de notes, profiter du moment...
- Sur la Saint-Jacques rôties, risotto d'épeautre, siphonade au champagne : Dom Ruinart 2002 en magnum; chablis 1er cru, Forêt 2009, Domaine François Raveneau; Aso dei Fiori 2009, Cantina Serra dei Fiori Braida, Rochetta Tanaro, Piémont.
- Sur le Saint-Pierre poêlé au beurre d'algues, haricots de Soissons mijotés : Dom Ruinart 1996 en magnum; Vie di Romans, 2009, Frioule; Kumeu River, 2009, Maté's Vineyard, Nouvelle-Zélande.
- Sur le grenadin de cochon ibérique aux citrons confits, polenta et abricots moelleux et la déclinaison de comté : Dom Ruinart 1993 en magnum; nuits saint-georges 1er Cru, Clos de l'Arlot 2000, Domaine de l'Arlot; côtes-du-jura Les Chalasses, vieilles vignes 2009, Domaine JF Ganevat à Rotalier.
Et enfin, pour le dessert, tartelettes d'agrumes confits, marmelade mielleuse, la cuvée Sauternes, non millésimé, élaborée par Château d'Yquem, assemblage de plusieurs millésimes et merveilleux point final à cette dégustation exceptionnelle...
Les petites lampées reviennent bientôt ...
PS. Les photos (sauf le montage) sont de Michel Jolyot.