Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Les Fous de vin d'Alain Fourgeot

Entre petites lampées et grandes folies, ne pas remettre à demain ce qui peut être bu aujourd'hui...

Deux Grands Crus bordelais en petites lampées et petites pensées baudelairiennes...

Deux Grands Crus bordelais en petites lampées et petites pensées baudelairiennes...

BOURGES. Un verre de vin, un feu crépitant dans la cheminée, des livres ... Quoi d'autre par ces temps de froidure et d'humidité pénétrante ?  J'ai donc relu,  ces jours-ci, plusieurs chapitres des Paradis artificiels de Beaudelaire, dont celui consacré au vin. Dans lequel, l'auteur des Fleurs du mal s'en prend à Brillat-Savarin, pas le fromage* évidemment, mais bien Jean-Anthelme, homme politique et gastronome, qui « porté à l'art de manger le flambeau du génie » mais aussi écrit quelques conneries notamment à propos du vin , avant de déclarer haut et fort qu'il était « le monarque des liquides. »

Beaudelaire, qui n'avait probablement pas lu ce dernier propos, portait grand mépris à  l'auteur de Physiologie du goût, qualifié de « grand sot », lequel n'a pas hésité à écrire la chose suivante : « Le patriarche Noë passe pour être l'inventeur du vin; c'est une liqueur qui se fait avec le fruit de la vigne. » 

« Je suppose qu'un habitant de la Lune ou de quelque planète éloignée, voyageant dans notre monde, et fatigué de ses longues étapes, pense à se rafraîchir le palais et à se réchauffer l'estomac, écrit Beaudelaire. Il tient à se mettre au courant des plaisirs et des coutumes de notre terre. Il a vaguement ouï parler de liqueurs délicieuses avec lesquelles les citoyens de cette boule se procuraient à volonté du courage et de la gaieté. Pour être sûr de son choix l'habitant de la Lune ouvre l'oracle du goût, le célèbre et infaillible Brillat-Savarin et y trouve ce renseignements précieux: le patriarche Noë... et cette liqueur se fait ... Cela est tout à fait digestif. Cela est très explicatif. Il est impossible, après avoir lu cette phrase, de n'avoir pas une idée juste et nette de tous les vins, de leurs différentes qualités, de leurs inconvénients, de leur puissance sur l'estomac et sur le cerveau. Ah ! chers amis, ne lisez pas Brillat-Savarin. »  Voilà notre gastronome en culotte longue rhabillé pour des siècles ! Amen...

Pour trinquer à sa mémoire, un verre d'un Grand Cru Classé de Margaux, un prieuré-lichine 2016,  ouvert pour le dîner de la veille... Un assemblage de cabernet sauvignon (66%), de merlot (29%) et de petit verdot, élevé en barriques neuves et en barriques d'un an, à parts égales. Sous un robe grenat, presque atramentaire sur les bords, le vin offre un très joli nez de baies noires mûres, des notes chocolatées, d'épices, de grillé.  Bouche riche, très fruitée, sur de fins tanins, dotée d'une très belle acidité qui lpromet à ce 2016 une longue garde, finale aussi réjouissante que la lecture des Fleurs du mal ... 

Avant le margaux, avait été également ouvert un saint-émilion 2006, de Château l'Arrosée, également Grand Cru Classé, racheté en 2013  à la famille Caille par le groupe Clarence Dillon, propriétaire notamment de Haut-Brion. Robe très sombre, nez quasi explosif, extraits de violette, fleurs séchées, compote de fruits rouges, humus, tabac et chocolat, tanins très fondus, milieu de bouche savoureux, finale  soyeuse... Un régal, là encore.

Retour à Beaudelaire : « Dites, en votre âme et conscience, juges, législateurs, hommes du monde, vous tous que le bonheur rend doux, à qui la fortune rend la vertu et la santé faciles, dites, qui de vous aura le courage impitoyable de condamner l'homme qui boit du génie ? » 

Les petites lampées reviennent bientôt... 

* À cette époque, en 1856, le brillat-savarin, était un gâteau que Beaudelaire qualifiait « d'espèce de brioche insipide dont le moindre défaut est de servir de prétexte à une dégoisade** de maximes niaisement pédantes tirées du fameux chef-d'œuvre ». Dans les années 1930, on débaptisa le fromage excelsior pour lui donné le nom de brillat-savarin. 

** Néologisme tiré du verbe dégoiser, parler avec fort débit et volubilité. 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article